Lors du passage à l’ère du digital, il semble parfois que les personnes soient éclipsées par la technologie. Pas chez Puratos Lummen ?
Liesbeth : « Notre devise est “People first”. Les valeurs axées sur l’humain, comme la coopération et la confiance, font partie de notre ADN. Nous sommes en pleine expansion et pouvons atteindre notre croissance uniquement grâce à nos salariés. Ainsi, nous investissons massivement dans le développement des talents et encourageons les travailleurs à se faire entendre. L’ère du numérique ouvre de nouvelles voies et opportunités à cet égard. »
Stefaan, vous encadrez les 5 sites belges de Puratos dans leur transformation digitale. Quel est le lien entre la numérisation et l'approche axée sur l’humain ?
Stefaan : « Nous visons plus de performances en termes d'efficacité, de qualité et de durabilité. La digitalisation y contribue. Comme le dit Liesbeth, les travailleurs sont toujours au coeur de notre activité. Il est crucial pour nous que chacun adhère à cette mutation. »
Une complexité croissante
Quels défis avez-vous rencontrés ces dernières années ?
Stefaan : « Notre expansion s'accompagne d'une complexité croissante. Les équipes changent constamment, tout comme leurs besoins, et l'on attend de plus en plus de nous au niveau individuel. Cela signifie qu'il faut travailler en permanence sur sa spécificité et sa culture. Nous devons préserver nos valeurs fondamentales ainsi que nos principes de coopération et les traduire dans notre structure et notre organisation en constante évolution. La numérisation renforce cette nécessité. »
Liesbeth : « En outre, nous devons faire aussi face à la guerre des talents. Nous misons tout sur la rétention. Avec cette complexité croissante, il est avantageux pour les personnes déjà formées de rester dans notre organisation. »
Une approche holistique
Quelles mesures avez-vous prises pour faire face à ces défis ?
Liesbeth : « Il y a beaucoup d’initiatives en termes de bien-être, mais le développement humain reste notre priorité. Nous le constatons dans notre enquête sur l'engagement. L'autonomie, la formation et les objectifs de carrière sont des besoins importants et les raisons pour lesquelles les salariés s'engagent à long terme chez Puratos. »
« Nous continuons à nous focaliser sur la communication. Individuellement, par des entretiens en tête-à-tête, et plus largement, par des processus de leadership visant à améliorer la qualité des interactions. Nous utilisons aussi des outils numériques pour garantir qu'aucune voix ne se perde et que toutes les contributions de nos travailleurs soient suivies. À Lummen, nous disposons d'un système où le personnel peut signaler des écarts, par exemple dans le domaine de la sécurité ou de la qualité. »
Stefaan : « Nous veillons à ce que notre communication, nos formations et outils digitaux soient en phase avec notre maturité, notre structure et notre organisation. Nous voulons mettre en place un système intégré holistique, qui vise un équilibre sain entre le numérique et l'interaction humaine. Et où les tâches principales des travailleurs ne changent pas. Les collaborateurs de première ligne, par exemple, continueront à faire part de problèmes, mais le feront désormais de manière structurée. »
Liesbeth : « Notre approche de l'apprentissages est elle aussi structurée. Nous offrons des formations sur mesure qui correspondent au rôle de chaque personne et se complètent. Nous déployons des trajets de leadership par phases à tous les niveaux, afin que ce qu'ils apprennent soit pérenne et profite au développement de tous et de l’organisation. »
Gare à la prolifération
Les entreprises doivent-elles se méfier de certains pièges ?
Stefaan : « Oui ! La simple mise en oeuvre d'outils digitaux peut vite mener à une prolifération, empêchant les utilisateurs finaux de se concentrer sur l'essentiel. Il y a alors un risque que les gens décrochent et émettent moins de signalements, ce qui va à l'encontre de ce que l'on souhaite. »
D’un point de vue RH : l’introduction d’outils numériques a-t-elle un impact sur la perception du travail ?
Liesbeth : « Nos lignes de production sont largement automatisées et nous utilisons diverses applications digitales. Comme l'a dit Stefaan, tout dépend de l'adhésion au numérique du travailleur. C'est pourquoi la qualité de l'interaction entre le chef d'équipe et ses collaborateurs reste si capitale. On ne peut jamais lancer un outil numérique sur le terrain en espérant que les gens s'en empareront. Ce n'est pas comme ça que ça marche. »
« Chaque projet d'automatisation ou d'amélioration technique chez Puratos Lummen s'accompagne également d'améliorations sur le plan ergonomique et la perception du travail. Chaque changement profite aux salariés, de sorte que l'apprentissage de nouveaux systèmes devient plus agréable pour eux. »
Chez vous, la digitalisation n'empêche pas l’interaction humaine ?
Liesbeth : « Absolument pas. Si quelqu'un nous signale quelque chose via notre système numérique, le but est précisément que le chef d'équipe vienne sur place pour discuter plus en détail du problème. »
Amélioration de l’emploi grâce à des titres de Champions
Cette situation pèse lourdement sur les managers, qui sont déjà très occupés.
Liesbeth : « C'est pourquoi nous avons commencé à modifier l'organisation de notre travail. Nos travailleurs souhaitaient plus de responsabilités et d'opportunités de carrière. Nous avons donc introduit des titres de Champions dans les domaines de la qualité, des RH, de l'amélioration continue et de la sécurité. Les Champions restent des opérateurs à 90 %, mais grâce aux investissements dans l'automatisation, 10 % de leur temps est libéré pour acquérir des connaissances et les appliquer dans l'atelier. Cela accroît leur autonomie et nous apporte un feedback et un soutien précieux pour les projets d'amélioration. »
Stefaan : « Les Champions sont non seulement des modèles sur le lieu de travail, mais ils reprennent aussi les tâches de réglage et d'inspection des chefs d'équipe. Cela permet à ces derniers de se focaliser sur leurs tâches principales, comme renforcer la dynamique de groupe et développer des compétences. Et les travailleurs boostent ainsi leurs perspectives professionnelles. »
Nous savons que vous avez adopté une approche intelligente de la transformation digitale. Mais avec le recul, qu'auriez-vous fait différemment ?
Liesbeth : « J'aurais misé directement sur l'amélioration de la qualité des interactions. La collaboration est essentielle, surtout en cas de changements importants. Vous ne pouvez pas limiter ça à un seul département. »
Stefaan : « Je repartirais de la structure, de l'organisation et des besoins : structurer et organiser d'abord, transformer ensuite. En étant plus conscient qu'il ne faut pas aller trop loin et que le changement prend du temps. Je commencerais aussi à identifier et impliquer toutes les parties prenantes de manière plus large et plus efficace. »
Quid de la concertation sociale dans le cap vers le numérique ? Le syndicat a-t-il joué un rôle dans ce processus ?
Liesbeth : « La transparence est fondamentale pour nous, y compris dans le dialogue social avec le syndicat. Dès le départ, nous avons partagé ouvertement nos projets. De nombreux délégués syndicaux sont des salariés expérimentés qui travaillent ici depuis des années. Leurs connaissances pratiques et leur vision du terrain rendent leur contribution très précieuse. Ils participent activement à la réflexion. »
Sandwichs garnis
Et l’avenir, que réserve-t-il ?
Liesbeth : “« Pour les ressources humaines, nous souhaitons affiner nos trajets de formation sur le poste de travail pour faciliter l'insertion et réduire les temps de formation. Cela permettra aux nouveaux arrivants de travailler plus rapidement de manière autonome, et donnera aux autres plus d'espace pour apprendre de nouvelles choses. »
« En outre, nous voulons mieux soutenir nos équipes, surtout pendant les services de nuit et le travail posté. Par exemple, nous voulons ajuster la conception organisationnelle afin d'améliorer la qualité de l'interaction avec le manager dans toutes les équipes. »
Stefaan : « Chez Puratos, nous sommes constamment à l'affût des opportunités et des développements technologiques. L'intelligence artificielle joue un rôle important à cet égard, non pas en raison de la technologie elle-même, mais pour soutenir la zone de production. Un assistant numérique peut vous faciliter la vie, en vous envoyant des rappels ou en vous commandant un sandwich garni pour le lunch, par exemple. »
Voilà qui paraît prometteur !
Plus de variété, moins de pénibilité
Jos Gysemberg, délégué syndical et salarié chez Puratos depuis 18 ans, porte un regard positif sur la digitalisation du site à Lummen : « Le travail a changé, mais surtout dans le bon sens. Il y a plus de variété et vous alternez entre différents postes de travail. Cela rend le travail plus intéressant et moins pénible. »
« 90 % du personnel soutient les changements. Les 10 % restants s'inquiètent des pertes d'emploi, mais jusqu'ici, ces craintes ne semblent pas fondées. Bien sûr, il y a encore des problèmes de mise en route, mais on y travaille. En tant que syndicat, nous veillons à ce que chacun reçoive une formation et un accompagnement suffisants pour suivre le rythme. J'aide moi-même à élaborer par exemple des consignes de travail digitalisées. »