Damien est directeur de production de la brasserie Lupulus. Il est ingénieur industriel en biochimie, spécialisé en fermentation. « Au cours de cette formation, se rappelle-t-il en souriant, j’avais déjà des cours de dégustation pour apprendre à boire des bières. Quand d’autres avaient des travaux pratiques en électricité, moi c’était en dégustation. »

C’est passionnant de l’entendre raconter cet apprentissage et les applications qu’il en tire pour dégager les composants gustatifs d’une bière : « Pour les TP de dégustation, on nous donnait un composé. Par exemple : le DMS, sulfure de diméthyle, une odeur de maïs cuit liée au fait qu’il n’y a pas eu suffisamment d’évaporation. En apprenant à identifier ce composé puis d’autres, on se crée progressivement une carte mentale. En dégustant, on va chercher les défauts par rapport à cette carte. On va chercher du diacétyle par exemple, un petit goût de beurre. S’il y en a, c’est que la bière est trop jeune. Donc, en fonction de la bière qu’on déguste, on doit réfléchir différemment et s’intéresser à certains composés plutôt qu’à d’autres.»

De la grande structure à l’entreprise familiale

Au début de sa carrière professionnelle, Damien a travaillé chez un très grand brasseur industriel, avant d’arriver chez Lupulus en 2012. Il y a démarré en tant qu’ingénieur brasseur, puis est devenu responsable de production, en chapeautant chaque fois un peu plus de services. Entre la multinationale et la brasserie familiale, le changement était de taille :
« Quand je suis arrivé, l’entreprise ne comptait que quatre travailleurs : le fondateur, ses deux fils et un autre collaborateur. Je quittais une brasserie où on produisait 1200 hectolitres par heure et ici, on en faisait 3000… par an. »

Cette croissance s’est accompagnée d’une augmentation rapide du personnel, qui compte à présent une trentaine de collaborateurs, dont une partie travaille à pause : « Le brassage se fait en deux pauses, le soutirage en une pause et demie. On ne brasse plus la nuit. Le premier brasseur arrive à 5h30 ou 6 heures le matin et le brassage se termine à 22 heures. Le week-end, il n’y a pas de brassage, juste des suivis. Le responsable qualité ou moi nous nous relayons pour surveiller la fermentation. Par exemple, on ne peut pas dire le vendredi : je prends mon week-end, débrouille-toi... »

Faire face aux enjeux d’une nouvelle organisation du travail 

L’organisation est devenue plus complexe. Le lab d’innovation auquel Damien a participé avec Tim et Julien Gobron de la direction générale, lui a permis de mieux cerner les problèmes que la brasserie rencontrait à différents niveaux et les réponses à y apporter : « J’y suis allé pendant quatre journées complètes avec deux représentants de la direction. C’était une chose très positive qu’on y soit ensemble. Cela évite le grand écart qui peut se créer entre la production et la direction. Avec la croissance de l’entreprise, les directeurs sont de plus en plus au bureau et de moins en moins en production. Après les labs d’innovation, on était au moins d’accord sur la façon d’avancer ensemble. »

Le travail de directeur de production comporte de très nombreux aspects, notamment l’organisation des plannings, à savoir le planning de production et le planning humain, ainsi que la gestion des stocks, pour une durée de six à huit semaines selon les références : « Quand j’ai moins de six semaines de stock pour une bière donnée, je la prévois au brassage, je dois donc avoir les matières premières nécessaires. Avant, je m’occupais aussi des matières premières. Maintenant, grâce aux labs d’innovation, c’est Max, un des brasseurs, qui s’en occupe directement. En se basant sur les ventes de l’année dernière comparées aux ventes de cette année-ci, il a revu comment gérer nos stocks minima. Dès qu’on descend en dessous de ce minimum, il passe la commande. Ce changement me libère trois ou quatre heures par semaine, que je peux désormais consacrer à d’autres tâches...Les labs d’innovation nous ont amenés à nous interroger : qui fait quoi ? Et est-ce vraiment à cette personne de faire cette tâche ?»

Analyser et répartir les tâches et les compétences adéquatement

« Pas une semaine ne se passe sans qu’on me demande : qui s’occupe de ça ou ça ? Et je réponds : penses-tu que c’est à toi de le faire ? Par exemple, est-ce à l’assistante de laboratoire de gérer l’encodage des lots qui sont soutirés, de compter le nombre de bouteilles ? Non. Le labo est là pour garantir que ce lot ait la qualité exigée. Pourtant, c’est bien l’assistante en question qui s’y collait parce qu’elle est douée en informatique. Cette tâche a été redistribuée. On a formé des gens pour que ce soit effectivement la bonne personne qui s’en charge. Autre exemple : ce n’est pas à un directeur de production qu’il incombe de prendre une tigette et de mesurer si la concentration de produit est bonne. Je dois avoir quelqu’un à qui je puisse dire : on remarque tel et tel défaut. Analyse la situation et mets en place ce qu’il faut pour y remédier. »

Suite aux labs, l’entreprise met tout en œuvre pour définir les responsabilités de chacun, tout en incluant les parties prenantes dans une situation donnée. Le fait de désigner une personne à des responsabilités précises dans le projet améliore le travail.

« Un des brasseurs est en train de travailler à un projet ‘5 S’ : chaque chose à sa place et une place pour tout. Comment mieux ranger la brasserie. Un projet magnifique. Ce brasseur a commencé par aller voir tous les soutireurs en leur présentant le projet, en disant par exemple : si vous cherchez une cruche pour prendre votre échantillon, elle sera à sa place, donc vous gagnerez du temps, mais il faudra changer la mentalité. Êtes-vous prêts à rentrer dans le projet, et si oui, que voulez-vous inclure dans ce projet ? Il y en a un qui a dit : moi ce qui m’ennuie, ce sont les tuyaux par terre, qui traînent toujours dans les pieds. Alors, on a fixé des supports muraux pour accrocher les tuyaux. Un autre s’est plaint du fait que la réduction 50>32, pièce qu’on doit ranger au pied de cuve, on ne la retrouve jamais et on perd du temps. Donc des petits box ont été installés, des bacs à bec ouverts sur l’avant, pour pouvoir y ranger cette pièce de façon pratique. »

La délimitation précise des responsabilités de chacun s’avère précieuse en cas de conflits de compétences. Damien se rappelle d’un épisode très significatif à cet égard.

« On démarre un soutirage. Tout se passe bien. Les paramètres sont normaux. On prend la bouteille. On la mesure et le test indique qu’elle n’est pas assez pétillante. Le responsable qualité vient dire au soutireur d’arrêter sa machine, parce que la mesure n’est pas bonne. Le responsable soutireur affirme pour sa part qu’à l’œil et avec l’expérience, il sait au contraire que la bière est bonne et dit au soutireur de lancer la machine, lequel se retrouve ainsi pris entre le marteau et l’enclume. L’analyse montrait qu’il y avait un risque que la bière ne soit pas bonne, donc on a arrêté la production. Les deux responsables se sont engueulés. L’un disait : « Tu m’as fait perdre un quart d’heure ! » et l’autre répétait : « Les analyses sont mauvaises ! ». J’ai pris le parti du responsable qualité : les analyses sont mauvaises, on ne soutire pas, un point c’est tout. Au bout du compte, on s’est aperçu qu’il y avait un bug dans l’outil de mesure. C’est vrai qu’on a perdu un quart d’heure, mais en un quart d’heure, on fait 1500 bouteilles, qu’on risquait de devoir vider dans les égouts. »

S’interroger sur les impacts de la digitalisation

L’évolution technologique et la part de normalisation qu’elle implique, paraît cependant inéluctable. Chez Lupulus comme ailleurs, la digitalisation amènera une plus grande automatisation de la production. Cela pose de nouvelles questions en termes d’organisation et donc aussi en termes d’impacts humains.

«  Il y a des inquiétudes par rapport à la nouveauté, explique Damien. Quelqu’un me demandait : dans le nouveau bâtiment, comment ça va se passer ? Combien serons-nous ? Va-t-on engager quelqu’un ? J’ai répondu que je ne savais pas encore combien de personnes il faudrait pour faire tourner la ligne. Ce qui inquiétait ce collaborateur, c’est qu’il pensait ne pas pouvoir tenir le coup s’il lui fallait rester toute la journée devant un écran. C’est le risque de l’automatisation. Ils vont commencer avec une seule machine pendant six mois. Ils ne sont pas chauds. Il y en a un qui m’a déjà dit qu’il préférerait travailler sur un clark, sinon qu’il allait devenir fou… Il faut rassurer, tout en faisant en sorte que les travailleurs accueillent de nouvelles compétences. Les six prochains mois seront compliqués, mais heureusement qu’on est passé par les labs d’innovation. »

 

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